Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

mardi 16 décembre 2014

"Il était aussi gai qu'un mariage gay qui s'est bien déroulé". Jacques Damboise in "Pensées cataplasmiques".

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Pensées pour nous-mêmes:

(A TRAVERS LES VOLETS FERMÉS
VOIS-TU TOUJOURS LA LUMIÈRE?)

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"Hum... Quelle intrigante odeur...
- J'ai cueilli ces fleurs sur la tombe de votre
mari que vous m'aviez chargé de supprimer"


Elizabeth Barrett Browning (1909), Albert Chevallier Tayler

commons.wikimedia.org

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Inventer une langue, c'est facile
(et ça peut rapporter gros) !

SERENA DANNA

   (...) [Article initialement publié le 8 février 2012] "Personne ne me croit quand je dis que mon gros livre est une tentative pour créer un monde dans lequel une forme de langage conforme à mon esthétique personnelle peut sembler réelle. Pourtant, c'est la vérité". Cette déclaration d'amour linguistique est signée de l'écrivain britannique J.R.R. Tolkien qui a enthousiasmé des générations entières avec ses idiomes fantastiques, créés spécialement pour les personnages de ses histoires. 

   L'auteur du Seigneur des anneaux est le symbole d'une approche artistico-littéraire de la création linguistique. Une approche qui, du fameux baragouinage du diable dans la Divine comédie de Dante à la "novlangue" de George Orwell dans 1984, englobe le "‘vonlenska" du nom de la langue inventée par le chanteur du groupe islandais Sigur Ros et l'"europanto" [parodie de l'espéranto] de l'écrivain et traducteur italien Diego Marani.

   Maintenant que les "conlangers", comme on appelle les inventeurs de langues artificielles, sont devenus des professionnels surpayés par les majors d'Hollywood, on sourit en pensant aux étapes franchies par cette étrange passion des érudits et des idéalistes, devenue un métier à l'époque du fantastique et de la science-fiction version 2.0. Qui sait ce qu'aurait pensé Ludwik Lejzer Zamenhof - le créateur polonais de l'espéranto qui a consacré une bonne partie de sa vie à rêver d'une langue commune à tous les peuples du monde - du professeur Paul Frommer, grassement payé par le réalisateur James Cameron pour plancher sur le "na'vi", la langue fictive parlée par les indigènes dans son film Avatar. 

   Ou bien la féministe Suzette Haden Elgin (une des premières blogueuses de l'Histoire) qui s'est battue pour que son "laadan" devienne la langue des femmes, de la très moderne "Language Creation Society" qui propose ses services d'invention de langues aux entreprises. Notez que l'un des fondateurs de la "Language Creation Society" n'est autre que David Peterson, le "pape" du "dothraki", le dialecte utilisé dans la célèbre saga de science fiction Le Trône de fer [saga de plusieurs volumes vendue à plus de 7 millions d'exemplaire, récemment adapté en série télévisée].

   "Aucune des centaines de langues créées pour des ‘raisons sociales', assure Arika Okrent, auteur de In the Land of Invented Languages [Au pays des langues inventées] dans un article du New York Times, n'a été aussi populaire que celles inventées par le cinéma, la télévision et la littérature. Des années durant, on était en quête de la langue parfaite mais le défi n'a jamais rencontré beaucoup de succès. Il a fallu pour cela attendre l'ère du divertissement". (...)

   (...) La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne d'Umberto Eco avait besoin du cinéma et d'Internet pour trouver un public. Certes, les mordus objecteront que le triomphe des "conlangers" est un phénomène déclenché par la saga de Star Trek, lorsque le linguiste Marc Okrand inventa la langue "klingon" pour le compte de Paramount Pictures. Pourtant, malgré les innombrables fans, la version klingon du Monopoly et la naissance d'un Institut de la langue klingon, le dialecte ne s'est pas popularisé. 

   Il n'est parlé que par vingt personnes (parmi lesquelles ne figure même pas Okrand). Au fond, le problème du linguiste américain ressemble à celui du futuriste russe Krucenych, auteur de la poésie "dyr bul scil ubescur skum vy so burlèz" (qui ne veut rien dire) : une grande difficulté sonore et linguistique qui contrarie l'apprentissage et le partage.

   Les nouvelles langues créées par les géants du fantastique et de la science-fiction ont une grammaire et une diversité lexicale (le dothraki compte 10000 mots) qui ne les rendent pas différentes de l'italien ou du japonais. Arika Okrent explique ainsi qu'"un vocabulaire riche est plus difficile à apprendre mais exige moins d'efforts pour la construction du sens." "Au contraire, poursuit-elle, un lexique pauvre a besoin de l'aide du contexte et des conventions sociales pour se répandre".

   Les chances de survie d'une langue fabriquée dépendent de la diffusion que celle-ci trouvera au sein d'un groupe de personnes. "Si l'espéranto n'a pas disparu, souligne Arika Okrent, c'est parce qu'il ne cesse de s'affranchir des intentions et des strictes règles de son créateur". Pour la spécialiste, l'étude d'une langue, même naturelle, relève plus d'une décision affective que d'une motivation d'ordre pratique. La volonté d'appartenir à un groupe entre en jeu. (...) 

   C'est pourquoi Internet, avec ses communautés numériques d'un côté et les possibilités de jouer avec la langue de l'autre, représente la plateforme de lancement idéale pour les "conlangers". C'est un étudiant de 23 ans de l'université de la Sarre, en Allemagne, qui gère actuellement le site dothraki.com, sur lequel on peut trouver un dictionnaire anglais-dothraki et une grammaire. Pour apprendre la langue de la planète Pandora, les réseaux sociaux (notamment le compte twitter @learnna'viainsi que des milliers de groupes sur Facebook) constituent désormais les outils les plus utiles et les plus accessibles.

   Bien que les spécialistes se lamentent encore sur la fermeture de langmaker.com, le site qui cataloguait les langues inventées dans le monde (environ 2 000 jusqu'en 2007), passer des tristes forums des années 1990 aux réunions des pratiquants de la langue na'vi dans le comté de Sonoma, en Californie, transmises via Twitter, est une belle conquête pour la "démocratie linguistique" dont rêvait Zamenhof.

   Il y a quelques années encore, l'unique moyen de devenir "conlanger" était de consulter le Language Construction Kit [kit de construction de langue] de Mark Rosenfelder (l'auteur du "verdurian" qui compte de nombreux adeptes) sur le site zompist.com. Aujourd'hui, il suffit de taper le terme "langmaker" sur Google ou sur Bing pour trouver des centaines de manuels très simples d'emploi.

   Peterson et Frommer imaginent un avenir dans lequel les universités enseigneront le dothraki comme aujourd'hui le swahili et l'arabe, dans lequel les langues fabriquées auront finalement des pratiquants "de langue maternelle". Un privilège qui n'est réservé à l'heure actuelle qu'aux enfants de quelques couples d'"espérantistes". "Lorsque, par la suite, ils se rendent compte que les parents parlent aussi une autre langue, un autre idiome utilisé par leur communauté de référence, ils s'empressent d'abandonner l'esperanto", estime Arika Okrent. Rêveurs ou visionnaires, les "conlangers" sont les derniers témoins des merveilles du langage. 


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"Mais je suis fatiguée, mon chéri...
- Tu n'y penses pas! Et comment tu vas
me payer mon T-shirt de marque si
tu ne travailles pas dans la rue,
comme tous les soirs, hein?"



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Luc Desle

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